Décidément, le monospace n'a plus la cote. Euphémisme. Le Salon de Genève (8-18 mars 2018) donne l'occasion aux constructeurs de lancer une nouvelle salve de véhicules hauts sur pattes, d'allure vaguement baroudeuse. A tous les échelons de la gamme, les berlines se dédoublent en SUV et en crossover. On frise la surdose.
Forcément, la place manque au catalogue pour des monospaces boudés par les familles. Même chez les pionniers du genre, c'est l'hécatombe.
Voyez chez Renault. L'Espace ? La cinquième génération se réinvente sous les apparences d'un grand break tous-chemins. Le Scénic ? Il cherche sa voie, pris en étau entre ses frères, le SUV Kadjar, le ludospace Kangoo et le break Mégane Estate. Dur. Son petit frère, le feu Modus ? Pfuit ! Disparu, remplacé — et de quelle manière ! — par le Renault Captur, l'un des petits SUV les plus vendus en Europe. Un véritable carton.
La mode du SUV ringardise le monospace. Et l'appellation Picasso.
Aussi sûrement que l'Allemand Opel a mis fin l'an dernier à la lignée des Meriva, l'Américain Ford ne donnera pas de descendant à son petit monospace des villes, le B-Max. Même musique chez Citroën, où le petit C3 Picasso cède la place à un C3 Aircross habillé à la manière d'un 4x4. Tout pour les apparences.
Le consommateur succombe d'autant plus volontiers à cette mode que le dernier-né n'est pas moins logeable ni moins pratique que son prédécesseur. C'est juste qu'en changeant d'allure comme de nom, la petite Citroën des familles se dissocie de toute la mythologie du monospace (sa forme, comme sa sémantique). C'est comme si, subitement, le simple terme de monospace — et son synonyme Picasso — étaient devenus ringards.
C'est tellement vrai que Citroën a jugé nécessaire de rebaptiser les C4 Picasso et C4 Grand Picasso en C4 SpaceTourer et Grand C4 SpaceTourer. Ces deux monospaces compacts entreront en juin dans leur sixième année et il reste à savoir si Citroën les renouvellera — comme Renault avec ses Scénic et Grand Scénic — ou bien s'ils disparaîtront au profit du SUV Citroën C5 Aircross, attendu à l'automne 2018.
Citroën fait des économies en renonçant à Picasso
Née en 1997, la berline Citroën Xsara souffrait d'un complexe d'infériorité. La naissance de sa déclinaison monospace aurait été moins remarquée, particulièrement chez nos voisins européens, si elle n'avait été baptisée d'un nom aussi célèbre que celui de Pablo Picasso. On peut trouver géniale ou détestable l'idée de baptiser une automobile du nom d'un peintre célèbre mais une chose est sûre : pour Citroën, ce fut un coup publicitaire formidable, la confirmation que l'imagination était revenue au pouvoir, après vingt années de contrition sous la main du repreneur Peugeot.
Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts et la logique mercatique impose aujourd'hui de renoncer à l'appellation Picasso. Tous les efforts doivent être consacrés à la promotion des signatures Aircross et SpaceTourer. Accessoirement, cela permet de générer pas mal d'économies. Car Citroën paie cher le privilège d'arborer le nom du célèbre artiste sur ses voitures.
Le constructeur français a toujours refusé de dévoiler le montant exact de la transaction mais il se murmure que les héritiers ont obtenu quelque 20 millions d'euros en échange du droit de reproduire la signature de Picasso sur les ailes avant de la Xsara, ainsi que le versement d'une redevance sur chaque véhicule produit. A ce jour, le compteur dépasse les trois millions et demi et certains ont parlé d'une facture de 3 millions d'euros par an.
Adieu Picasso, bonjour SpaceTourer
Il est vrai que l'appellation est très vite entrée dans les mœurs, le consommateur prenant l'habitude de parler de la voiture "Picasso" et non de la "Xsara Picasso", comme il disait "Scenic" et non "Mégane Scenic", son nom officiel à ses débuts. Le raccourci fut pris d'autant plus volontiers qu'au commencement, il n'y avait pas de confusion possible : de 1998 à 2006, il n'existait qu'une seule Citroën à porter ce nom. Puis vint la C4 Picasso (2006) et la C3 Picasso (2008).
La remplaçante de cette dernière aurait pu s'appeler Cactusmais Citroën a probablement estimé que ce patronyme reste aussi "clivant" que le véhicule qu'il désigne, cette fameuse C4 Cactus qui n'a jamais trouvé sa place au sein de la gamme. Née crossover en 2013, la Cactus tente aujourd'hui de se faire simple berline. Un comble !
D'où la préférence de Citroën pour une autre appellation, Aircross, employée déjà sur deux clones des 4x4 Mitsubishi qui n'auront pas marqué les annales de l'automobile. Citroën a jugé plus facile de gommer l'anonymat relatif d'un Aircross inoffensif que de faire changer de registre à un Picasso universellement connu.
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