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Les actualités Citroën 

Interview d'Henri-Jacques Citroën, petit fils d'André Citroën


Henri-Jacques, une première question qu’on a dû te poser très souvent. Est-ce qu’on peut vivre normalement en portant le nom de Citroën ? Eh bien oui, on peut vivre normalement, mais il y quand même quelque chose qui est marquant. C’est que je ne peux pas oublier mon nom ! Ne serait-ce qu’en marchant dans la rue, puisqu’il apparaît à chaque instant sur les voitures. Mais aussi, à la télévision, à la radio, puisque les constructeurs d’automobiles, en particulier Citroën, font beaucoup de publicité et donc j’entends mon nom à chaque instant et j’ai l’impression que l’on m’appelle !

Deuxième chose, c’est qu’avec un nom comme Citroën, on est tout de suite repéré. Même sur les marchés où il n’y a pas de voitures Citroën ; j’ai pu le tester ! Les gens ne pensent pas forcément qu’on est de la famille, ils pensent que beaucoup de gens portent le même nom. Mais en fait, en France, il n’y a qu’une famille Citroën, celle qui est venue des Pays-Bas. Alors il y a la branche qui descend directement d’André Citroën, enfin, de son père qui a émigré en France. Et il y a aussi quelques Citroën en France qui descendent d’un oncle d’André Citroën.

Avec ce nom, et tout l’intérêt que tu portes à ton grand père, comment se fait-il que tu aies eu une carrière en dehors de l’automobile, en tout cas pas directement chez un constructeur ? Ce sont les circonstances de la vie qui font qu’on va dans une direction ou dans une autre. D’abord, la famille n’était plus directement impliquée chez Citroën depuis que mon grand père a perdu le contrôle de la société. Donc ce n’était pas quelque chose d’automatique que de rentrer chez Citroën. Etant étudiant – j’ai fait des études de droit et HEC – je trouvais qu’à l’époque les structures de la société française étaient trop rigides, qu’elles n’offraient pas assez de flexibilité pour permettre à tout un chacun de réussir.

Comme j’avais vécu au Mexique avec mes parents, je me suis dit que l’Amérique latine était un continent d’avenir et que j’y retournerai. Et lorsque j’ai dû faire mon service militaire, je me suis dit que je ferai ma coopération là-bas. Un pays était alors tout désigné : le Vénézuela, qui était devenu un pays riche avec la hausse des prix du pétrole. J’ai demandé à y faire un stage dans le cadre de mes études HEC. J’ai fait mille choses sur ce continent, toujours au service de l’industrie française puisque j’y ai représenté une vingtaine d’industries (Usinor Sacilor, Péchinet, etc.) et incidemment, l’entreprise des engrenages que mon grand-père a créée en 1901, et qui existe toujours.

Tu n’as jamais rencontré ton grand-père, puisqu’il est décédé bien avant que tu naisses. Comment parlait-on d’André Citroën dans la famille Citroën ? Depuis tout petit, j’ai entendu parler de mon grand-père, ne serait-ce que parce qu’il y avait des souvenirs à la maison, avec des photos. Et puis, quand on est petit et qu’on porte ce nom, à l’école on est vite repéré. Donc, quand on rentre à la maison, on pause des questions. Mon père, mon oncle Maxime et ma tante Jacqueline étaient déjà très impliqués dans la promotion de l’image d’André Citroën.

Et puis, depuis que je suis petit, j’ai toujours entendu parler de cette vénération que les gens avaient pour mon grand-père, qu’on appelait d’ailleurs souvent « le Patron ». De plus, le personnage sortait de l’ordinaire ; c’était un industriel bien sûr, mais c’était aussi quelqu’un de particulièrement sympathique, probablement l’industriel du XXème siècle le plus sympathique et le plus charismatique au monde ! Bref, il y avait toujours des choses à raconter sur mon grand-père à la maison. Comme l’anecdote avec Charlie Chaplin.

Charlie Chaplin était très ami avec André Citroën ; ils se retrouvaient, entre autres, chaque année aux sports d’hiver et ils passaient pas mal de temps ensemble. Il y a d’ailleurs une photo où on voit Charlie Chaplin penché, en train d’inspecter une autochenille. Un jour, me racontait mon père, ils étaient à table et Charlie Chaplin a commencé à lui poser plein de questions sur la fabrication à la chaîne des voitures et les méthodes du taylorisme. Mon grand-père lui répondait, bien sûr, en lui expliquant tous les processus. Et quelque temps après, sortait le film Les Temps Modernes !

Toi le diplômé d’HEC, avec ton expérience professionnelle, comment tu jugerais André Citroën le créateur des automobiles Citroën ? D’abord je vois quelqu’un qui est d’un optimisme illimité et avec un sens de l’opportunité particulièrement développé. Parce que, quand je regarde comment il a su saisir l’intérêt de nombreuses inventions, contacter et mettre en valeur l’inventeur, fédérer les inventeurs et toutes les énergies qu’il y avait autour, je trouve que c’est très impressionnant. Et cela a commencé très tôt. Quand il a rendu visite à sa famille en Pologne, puisque sa mère était polonaise, il a rencontré un ingénieur qui avait imaginé les engrenages à chevrons.

Il a tout de suite compris l’intérêt de développer cette invention, en particulier pour la proposer aux industries lourdes. Il a acheté immédiatement le brevet et a pris le premier train pour rentrer en France et essayer de fabriquer les produits. Pendant la guerre, il était dans les tranchées et il était exaspéré de voir que les Allemands envoyaient plus d’obus sur les lignes françaises que le contraire. Il a également été marqué par la mort de son frère dans les tranchées dès le début de la guerre. Il a donc demandé la permission à son supérieur d’aller voir le Secrétaire d’Etat à la Guerre pour lui proposer de construire immédiatement une usine et de fabriquer des obus.

Il a eu carte blanche et a acheté des terrains à Javel, où il y avait des potagers, et en moins de quatre mois, l’usine était construite et commençait à produire les obus. Voilà ce qu’était André Citroën : un dynamisme de chaque instant. Il avait aussi une vision très large des choses, géographiquement parlant. Pour lui, c’était l’international dès le départ ! En deux ans, il avait des concessionnaires partout, même en Asie. C’est pour cela que la production a augmenté si vite.

En 1919, il partait de rien, les autres constructeurs étaient déjà installés, et en six ans, il est devenu le premier producteur de voitures en France et en dix ans, le premier en Europe. Cela a été fulgurant ! Pourquoi, parce qu’il ne s’est pas contenté du marché français. Il voulait d’ailleurs que tous les ingénieurs Citroën parlent Anglais ! A l’époque, c’était incroyable ! Il avait une vision tous azimuts. Mon grand-père c’était :

« Je fais quelque chose, je le fais à fond et je ne me contente pas d’un certain confort ! ».

André Citroën l’industriel, mais aussi André Citroën l’homme qui crée le marketing automobile, qui exploite la publicité, et quasiment plus la notion de Réclame. Comment expliques-tu cela ? Est-ce que dans la famille, ce génie du marketing était perçu ? Je pense que tout le monde l’a perçu ! Même Jacques Séguéla, qui est notre pape de la publicité, est le premier à le dire :

“C’est André Citroën qui a tout inventé dans la publicité et le marketing”.

Mon grand-père avait pleinement conscience qu’il fallait faire savoir les choses et donc il utilisait tous les moyens qui existaient pour attirer l’attention. Chez lui c’était pensé, mais aussi intuitif, les deux.

Avec mon grand-père, il y a eu beaucoup de « premières » : première publicité sonore, première traversée du Sahara en 1922-1923, puis la Croisière Noire, avec des scientifiques, des ethnologues, des cinéastes, et enfin la Croisière Jaune. Ces expéditions étaient uniques, et rien n’était laissé au hasard ! A part Hannibal, avec ses éléphants, je crois qu’il n’y a jamais eu de tels projets.

Henri Jacques, quelques mots sur les chansonniers et André Citroën ? Je vais vous raconter une anecdote qui montre le grand humour de mon grand-père et sa générosité. Comme il était très en vue, il était brocardé par les chansonniers. Un jour, il en invite une douzaine et leur propose une sorte de concours : celui qui rédigerait le plus beau quatrain sur Citroën se verrait offrir une Cinq Chevaux. Le gagnant fut Léo Lelièvre avec son texte :

“Lelièvre, mon aïeul, que l’on blague à la longue ; Par la tortue, un jour, fut battu de très loin ; Moi, grâce à Citroën, je gratte tout le monde ; Rien ne sert de courir, il faut un moteur à point”.

Mon grand-père saisissait toutes les occasions pour mettre en scène la marque Citroën. C’est lui qui a inventé l’autoradio. Il se disait que les gens dans la voiture devaient pouvoir se distraire. Et puis il y a eu la publicité sur la Tour Eiffel qui avait fait grand bruit. André Citroën avait le génie pour saisir toutes les opportunités. Il était sur le qui-vive constamment.

Justement, ton grand-père a toujours vécu à 300 à l’heure ; comment la famille a-t-elle vécu sa fin tragique ? La fin de l’entreprise pour mon grand-père s’est précipitée avec la mort de Georges-Marie Haardt, qui était son ami, son bras droit, son collaborateur le plus proche. C’était celui qui modérait ses ardeurs et lui rappelait le sens des réalités.

Lorsqu’André Citroën est allé voir les nouvelles installations de Renault à Billancourt, il a voulu avoir une usine encore plus grande, plus moderne, plus performante. Et en pleine crise, il a modernisé à grands frais l’usine de Javel. Les ventes, à ce moment-là, commençaient déjà à baisser. Mais la Traction était déjà conçue, imaginée et était en préparation. Il fallait la sortir très vite pour pallier les problèmes de trésorerie. Elle n’était pas prête et cela a entraîné une série de problèmes et n’a pas permis à l’entreprise de revenir à flot. Et comme mon grand-père avait toujours gardé ses distances vis-à-vis des banques, elles le lui ont bien rendu et ne l’on pas soutenu. Les créanciers ont voulu récupérer leurs créances et ce fut la fin. André Citroën était déjà très malade et ils ont profité de cette faiblesse. Ce fut très dur pour la famille, en particulier pour mon père, mon oncle et ma tante.

Comment toi et la famille Citroën vous voyez l’après André Citroën, jusqu’à ton activité récente où tu vas participer au Centenaire de la Maison Citroën ? Jusqu’en 1998, il n’y avait aucune relation entre la société Citroën et la famille. Il y avait une antipathie foncière, car après la mort de mon grand-père, la famille a été totalement oubliée par la société Citroën. Et puis, en 1998, André Citroën est admis à l’Automotive Hall of Fame aux Etats-Unis. On demande alors à ma famille d’aller recevoir le trophée, et c’est moi qui y suis allé, accompagné de deux dirigeants de la société Citroën. Là, ils découvrent que les Américains savent vraiment mettre en valeur leur patrimoine historique pour rebondir vers le futur.

Jusque-là, la société Citroën ne considérait en rien le passé de l’entreprise. A partir de la cérémonie du Hall of Fame, il y a eu une réaction chez Citroën et PSA aussi. C’est là que se structure le Conservatoire Citroën, que se créé la Direction du Patrimoine, bref, que se met en marche toute une mécanique pour mettre en avant le passé de Citroën. C’est ainsi que je me suis impliqué dans ce mouvement pour défendre la mémoire de mon ancêtre, qui était une icône pour beaucoup de gens. Et je suis le seul dans la famille ! Les autres ne se sentent pas particulièrement concernés.

Justement, est-ce que tu penses que la tragédie de la mort d’André Citroën ne participe pas à son mythe ? Oui ! ça renforce sa légende bien sûr. Cela dit, s’il avait vécu jusqu’à 98 ans, cela aurait été une belle histoire quand même. Il aurait fait de belles voitures et il aurait épousé son temps dans le marketing et la publicité. Il aurait très certainement été le roi d’Internet ! André Citroën, ce n’est pas seulement une histoire de voitures. C’est une histoire beaucoup plus vaste que cela. C’est une histoire qui concerne notre pays, l’économie, l’industrie et notre société.

Est-ce que tu penses qu’André Citroën aurait lancé la DS ? Oui, je le pense. Du moins il aurait inventé quelque chose d’équivalent car il était entouré de très bons ingénieurs et l’élan était là.

Henri -Jacques, quelle va être ta participation au Centenaire de Citroën et en particulier à la Croisière vers l’Ouest du CCFA le 19 juillet ? Depuis plusieurs semaines, je suis très occupé, je ne pensais pas que cela allait être aussi prenant. Mais le Centenaire n’a lieu qu’une fois tous les cent ans ! Et quand je vois l’engouement autour de ce Centenaire, je me dis qu’il faut accompagner le mouvement pour faire savoir aux gens qu’il y a une belle histoire derrière. Je suis allé à Bruxelles et je vais aller en Allemagne également. Et puis, la Grand-Messe sera la Ferté Vidame, et avant cela, la remontée des Champs-Elysées en autochenilles, qui va être très impressionnante. Peu de gens connaissent les autochenilles Citroën, cela va leur sembler très étonnant.

Merci Henri Jacques pour ton implication dans la défense de la mémoire de ton grand- père. Pour moi c’est un énorme plaisir. Je sens que je fais partie d’un mouvement. Jacques Séguéla a dit gentiment de moi que j’étais un « anchorman storytelling sans fin ». Ce sera le mot de la fin je crois !


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1 709 vues2 commentaires

2 Comments


Citrofan
Citrofan
Jul 05, 2019

J'ai commencer à aimer Citroën parce que Mon père, nous avait bercé (nous etions 3 sur 17 mois) en 2cv, il me reste l'image du compteur dans le coin à gauche de la planche de bord puis ce fut l'ami 6 avec de supers souvenirs aussi, les banquettes que l'on sortait pour le pique-nique, puis on est passé à la GS, on était des princes , papa baissait sa vitre et faisait monter la voiture pour discuter avec les gens et puis on avait la télé couleur, enfin on appelait ca un tachimetre à tambour. J'ai moi aussi commencé avec la GSX puis une GSX3, celle que j'ai le plus regretté, c'est aussi à ce moment là que j'ai commenc…

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Magnolias
Jul 05, 2019

Super , merci !

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