Depuis 1983 la réglementation a changée en rallye, ce n’est une surprise pour personne, puisque c’était officiel depuis le 1er janvier 1978 : Fini les trop compliqués « Groupe 1, 2, 3, 4 et 5 », au profit désormais d’un « Groupe B », qui devrait faire les beaux jours des actualités télévisées de l’époque et de la presse automobile, car si un championnat « Groupe N » et un « Groupe A » voient également le jour, on sait désormais que les micros et les caméras vont se focaliser sur le B.
Et que faut-il faire pour y accéder ?
Pour le Groupe N ce n’est pas compliqué, il est réservé aux voitures de série fabriquées à au moins 2 500 exemplaires par an, les transformations mécaniques permises sont très limitées par le règlement, contrairement au nouveau Groupe A, qui autorise plus de modifications (soumises à l’homologation par la Fédération bien entendu), et à la condition qu’au moins 5 000 exemplaires soient sortis des chaînes de montage en 12 mois consécutifs. En comparaison, le Groupe B c’est un peu « Open bar » si je peux m’exprimer ainsi :
- Production de seulement 200 exemplaires sur un an.
- Possibilité de produire 20 autos supplémentaires dites « Evolution », en vue de leur engagement en compétition, et non commercialisables au grand public.
Citroën ? Cette firme a le destin lié au Lion de Sochaux depuis 1976, et malgré l’envie d’en découdre il ne serait pas raisonnable de lancer la marque aux chevrons dans l’arène du championnat du Monde des rallyes car elle pourrait faire du tort à une 205 qui vient d’ailleurs de sauver le groupe PSA.
Pourtant, Citroën a une histoire en compétition que l’on aurait tort d’ignorer, il suffit de se remémorer le palmarès des DS tant au Monte-Carlo que dans des contrées souvent fort lointaines, où la suspension de ces modèles avait fait merveille. C’est Guy Verrier qui envisage au début des années 80 d’organiser le retour de la marque en Rallye, mais la Visa qui est développée en plusieurs versions et qui permet à de nombreux pilotes amateurs de figurer en bonne place dans des épreuves Nationales n’est sans doute pas le meilleur « vecteur d’image » de Citroën à l’international, la voiture n’étant ni un premier prix de beauté ni un très gros succès commercial… Par contre la récente BX, présentée lors du Salon de Paris 1982 pourrait être une bonne base de travail :
Succès indiscutable dès son lancement
Structure qui pourrait supporter des mécaniques plus puissantes
« Look Citroën » très réussi du au crayon de Marcello Gandini qui ne peut que bénéficier à l’image de la marque en cas de succès en Championnat du Monde.
Dès 1983 un prototype est élaboré par les établissements Politecnic : Moteur quatre cylindres ROC de 325ch issu à l’origine de la gamme Chrysler-Simca et placé toujours à l’avant, mais reculé au maximum afin de favoriser le centrage des masses, suppression des portières arrières, et mise au point d’une suspension classique à amortisseurs hydrauliques.
Aligné au très sélectif Rallye des 1000 pistes l’auto abandonne… De son côté l’équipe compétition de Citroën pense à autre chose, en effet cette « BX Politecnic » n’a plus grand chose à voir avec l’auto de série, et Guy Verrier souhaiterait plutôt que l’on s’oriente vers une Groupe B qui ressemble quand même aux BX de série et qui conserverait ses quatre portes, sa suspension hydropneumatique, et donc la possibilité pour ses heureux propriétaires de pouvoir circuler avec au quotidien. Il est décidé de conserver le moteur ex-Chrysler, c’est un très bon groupe encore moderne, bien que sa conception remonte à une quinzaine d’années : Arbre à cames en tête, culasse en aluminium…
C’est un moteur qu’il est très facile de « gonfler », il a d’ailleurs déjà propulsé avec succès des Formule 2, et fera les beaux jours de la Peugeot 505 une fois qu’un turbo lui aura été greffé. Un seul soucis : C’est un bloc longitudinal et il restera comme tel, générant un porte à faux avant supplémentaire de 28 cm pour la future 4TC. Qu’à cela ne tienne, c’est ce projet qui sera retenu pour faire briller Citroën en Championnat du Monde des Rallyes.
Toute l’année 1984 sera consacrée à l’élaboration de l’auto, avec la consigne stricte de n’y monter que des pièces issues de la banque d’organes PSA, faute d’un budget exponentiel, ce qui fera dire à la presse spécialisée lorsque la voiture sera présentée au Salon de Paris en octobre qu’elle tenait plus du « Meccano géant » qu’autre chose…
Le moteur ? Un Chrysler-Simca NT9 de 2141cm3, injection Bosch K-Jetronic, turbo Garett T3 avec échangeur air-air, 200ch Din à 5250Trs.
La boite ? C’est celle de la SM sur laquelle on a ajouté un système de crabotage permettant le passage (manuel) en quatre roues motrices via un levier situé entre les sièges, le pont provient de la Peugeot 505 Turbo.
Les freins ? Les disques de la CX avec leurs étriers à quatre pistons.
La direction ? La fameuse Diravi à rappel asservi déjà montée sur les SM et CX.
La carrosserie fait appel à de nombreux matériaux composites, l’aileron arrière provient de la BX Sport, de même que la sellerie.
Le tableau de bord est composé d’une multitude de cadrans qui fait penser à la « boutique d’horloger » d’un Boeing des années 60, les voyants d’alerte étant visiblement disposés là où il y a de la place…
Les jantes sont celles de la CX Turbo montées en Michelin TRX. La vitesse maximale de cette voiture de 1280 kg est de 220 km/h, le 0 à 100 est officiellement couvert en 7,5 secondes et le 1000m DA est annoncé comme bouclé en 27,5 secondes.
Malgré le côté patchwork de la voiture la presse entend bien la voir réaliser de bonnes prestations sur mauvaises pistes, où sa suspension hydropneumatique et sa direction Diravi qui ne retransmet pas les chocs subits par les roues au volant devraient faire des merveilles. Pourtant le tableau n’est pas tout rose, en particulier au niveau de la répartition des masses (62% sur l’avant), qui fait de la BX 4TC une sous-vireuse de première catégorie.
De toute évidence l’élaboration de l’auto a été franchement bâclée, et les moyens ont manqués à l’équipe pour une mise au point « aux petits oignons ». Les 200 exemplaires produits chez Heuliez en 1985 pour l’homologation sont proposés à la vente contre la somme de 248 000 Francs, c’est un peu moins cher que la fameuse 205 Turbo 16 « client » vendue 290 000 Frs, mais pour une auto à la ligne défigurée et à la finition perfectible l’addition est plutôt salée, ce d’autant que les premiers essais-presse font état d’un assemblage « jeu de Légo » au comportement routier perfectible et pas si performante qu’annoncée, puisque la vitesse maximale ne dépasse pas les 210 km/h, et que personne n’est parvenu à passer sous la barre des 28 secondes aux 1000 m. Parallèlement, une version Évolution est développée à raison de 20 exemplaires pour la participation au Championnat du Monde, avec de grosses modifications par rapport au modèle de base :
- Moteur avec culasse à 16 soupapes, turbo KKK avec pression de suralimentation réglable développant 380ch Din à 7000 Trs- Radiateurs d’eau et d’huile déplacés à l’arrière, afin d’améliorer la répartition des masses
- Autobloquants avant et arrière à glissement limité
- Capot, portières, ailes, hayon et pare-chocs en carbone-kevlar
- Vitrage en composite (sauf pare-brise)
- Réservoir souple aux normes FT3 de 120 litres
- 980 kg (soit un gain de 300 kg par rapport à la version initiale)
15 exemplaires sont conservés par le service compétition de Citroën, les 5 autres étant proposés à des pilotes titulaires d’une licence, contre un chèque de 800 000 Frs. La BX 4TC est officiellement en course pour le Championnat du Monde des Rallyes 1986, avec les pilotes Jean-Claude Andruet et Philippe Wambergue, le première épreuve est traditionnellement celle du Monte-Carlo. Alors très bien suivi par des médias qui diffusent les spéciales en direct le dimanche après-midi, les BX vont vite montrer leur manque de mise au point, et sont contraintes toutes deux à l’abandon
L’espoir est de retour en Suède, où Andruet fini à la sixième place, la voiture appréciant de toute évidence les très longues glissades sur la neige.
Pourtant Guy Verrier est conscient de la situation et du manque de mise au point de la BX 4TC… Il décide de faire l’impasse sur les trois épreuves suivantes : Portugal, Safari Rally au Kenya et Tour de Corse, et de ne revenir que pour l’épreuve Grecque de l’Acropole. Hélas les choses s’enveniment… Au Portugal, une Ford RS200 pilotée par un concurrent local sort de la route et percute des spectateurs au demeurant fort indisciplinés voire même inconscients, il y a trois morts et une quinzaine de blessés. Des voix commencent à s’élever concernant un Groupe B trop puissant, trop rapide et en fin de compte inadapté au terrain sur lequel il évolue. En Corse l’équipage Toivonen-Cresto sur Lancia Delta S4 sort de la route et prend feu, on ne retrouvera que la structure tubulaire et les quatre disques de frein de la voiture tellement l’incendie fut violent.
Cette fois-ci la fédération doit prendre des mesures et elles seront radicales : Le Groupe B sera interdit dès la saison 1987 ! Citroën, qui est de retour en Acropole au mois de juin, comprend que la situation est désespérée, puisque l’équipe n’a plus que les épreuves de fin de saison pour espérer marquer des points et se faire remarquer… L’abandon des trois autos engagées en Grèce sur bris de suspension arrière sonne le glas de la participation de la marque à l’issue d’un communiqué de presse sans équivoque, rendu officiel le 2 juillet 1986 : « A la suite des décisions de la FISA qui confirment la suppression du Groupe B pour la saison 1987, Citroën a décidé de ne plus investir dans le développement de la BX 4TC et se retire du Championnat du Monde des Rallyes »
Voila, c’est terminé. Une capitulation en rase campagne… Pour des raisons de règlement c’est vrai, mais aussi faute d’un budget conséquent nécessaire à la mise au point de la BX 4TC, beaucoup estimant que la décision de la FISA intervenait d’ailleurs à point-nommé pour sauver la face du constructeur.
Déjà très chères, mal finies, peu au point et désormais synonyme d’échec sportif, on ne sera pas étonné d’apprendre que les 200 exemplaires construits restent sur le parc d’Heuliez… Début 1987 Citroën octroie un rabais conséquent de 40% pour tout acheteur de BX 4TC. Cela ne suffira pas, et seuls 86 exemplaires trouveront preneurs…
Les 114 autos invendues finiront pas être détruites sous contrôle d’huissier, Citroën prenant même contact avec les possesseurs de 4TC pour racheter leur voiture, affirmant ne plus vouloir désormais en assurer l’entretien ! Pour une auto vendue 248 000 Frs quelques temps auparavant c’est une démarche plutôt irrespectueuse à l’égard des passionnés de la marque qui osèrent sauter le pas… Beaucoup refuseront, et garderont leur BX, charge à eux d’en assurer l’entretien, car le réseau ne voudra plus rien entendre… Raison pour laquelle de nos jours on recense 52 exemplaires survivants, et même encore 7 « Evolution ». Majoritairement on les trouve en France, mais plusieurs exemplaires ont trouvé refuge en Espagne, en Belgique et en Hollande (des nations Citroënistes), mais d’autres se trouvent de nos jours au Japon ou aux USA où pourtant elles ne furent jamais commercialisées. Désormais les BX 4TC sont des Collectors recherchés par les passionnées de la marque, très récemment un exemplaire peu kilométré a été vendu aux enchères 32 000 €, preuve que ces vilains petits canards des années 80 sont devenus des machines désirables : Il était temps !
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